Ce commentaire déposé après un article de ce blog m’apparait comme une vérité première : « Pourquoi tant de gens dont la construction ne doit pas être si différente de la nôtre ne voient pas ce que nous voyons ni ne ressentent ce que nous ressentons ? »
Avons-nous reçu cet « horrible don » dont parle Marguerite Yourcenar dans la citation que j’ai inscrite sur la première page du site ?
Lorsque je m’émeus de la souffrance des pigeons qu’on abat et qu’on empoisonne, de la détresse des chiens et des chats qu’on abandonne, de celle des cochons dont on aperçoit le regard effrayé à travers les barreaux des camions qui les mènent à l’abattoir, du calvaire du taureau supplicié dans les arènes, mais aussi de la douleur muette de l’insecte qui se noie, de l’escargot écrasé par maladresse et qui agonise au soleil, du craquement du grand chêne qu’on abat dans l’indifférence
Je me dis que je vois ce que les autres ne voient pas, que j’entends ce qu’ils n’entendent pas
Par peur, parce que la mort, même celle des êtres si différents de nous, fait peur.
Par peur, parce que la souffrance, même si on doute qu’un être si différent souffre vraiment, fait peur.
Par indifférence, parce que on a déjà bien assez à faire avec ses propres souffrances.
Par lâcheté, parce qu’il faudrait déjà s’occuper de la souffrance humaine avant de s’occuper de celle des animaux !
Par lâcheté, parce que c’est la nature, c’est la tradition, on a toujours fait comme ça.
Par lâcheté, parce qu’on n’a pas le temps…
Je ne suis personne pour donner des leçons à qui que ce soit.
Je comprends qu’on détourne son regard de la souffrance animale.
Corinne PELLUCHON, philosophe, professeure à l’Université Paris-Est-Marne-la-Vallée dans son ouvrage « Politiser la cause animale » (Paru aux Editions Alma Editeur) explique : « La prise de conscience de la souffrance animale projette l’individu dans un monde à part, qui est d’abord une sorte de cauchemar. »
Oui, chaque jour ces visions d’horreur viennent nous heurter.
Nous qui avons choisi de nous engager, nous ne fermons pas les yeux. Nous affrontons la réalité de cette souffrance.
La détresse, le sang, les corps mutilés, les cris.
Lorsque nous nous connectons sur un réseau social, nous ne voyons que cela parce que les algorithmes ont cru comprendre que les animaux morts étaient notre centre d’intérêt. Quel supplice !
Parfois, j’aimerais dire à Facebook : « Montre-moi du futile, donne-moi à voir du léger ! De la mode, des chansons, des sketchs, que sais-je… » Hélas, les posts me parlent des visons exterminés, des chats torturés, tout me ramène à cette cause.
Au poids des instants difficiles de notre vie, à nos deuils, nos douleurs, s’ajoutent quelques tonnes de la souffrance animale.
Mais je sais aussi qu’il y a les vrais courageux, dont je ne suis pas. Ceux qui ont la force d’affronter la vraie réalité : celle des refuges où les animaux hurlent derrière leurs barreaux, celle des abattoirs, des camions de transport. Ceux qui prennent les vrais risques, qui s’exposent et assument la menace des condamnations pénales pour s’être introduits dans ces lieux clos. Qui ont fait avancer la cause en donnant à voir, en diffusant ces images que nous avons tant de mal à regarder.
Et je reviens un peu plus loin dans le texte de Corinne PELLUCHON. A propos de la blessure qu’on ressent à prendre sur soi la souffrance des animaux : « Sans doute, cette blessure en réveille-t-elle une autre plus originaire, à moins que ce ne soit l’inverse qui soit vrai : dans un monde où chacun est affairé et où tout, depuis notre naissance, nous convainc que l’exploitation des animaux est naturelle, nécessaire et indolore, comment un individu peut-il être sensible à leur souffrance s’il ne s’est pas auparavant dépouillé, à la suite d’un traumatisme, d’une maladie ou d’une expérience humiliante, de tous ses attributs sociaux ?
Pour sentir dans son cœur et sa chair les cris de panique et d’angoisse des animaux, leur corps mutilé et meurtri, l’immensité de leurs frustrations, il faut pouvoir se présenter, nu et exposé, devant les animaux, qui sont des êtres nus et exposés, livrés presque sans défense à nos mains armées de machines et d’outils.
Cette exposition peut être la brèche par laquelle les êtres humains ont accès à cette souffrance, alors qu’ils vivent dans un système qui redouble d’efficacité pour la cacher ».
Et oui, car le système est pervers : la souffrance animale nous est cachée, bien dissimulée : les abattoirs sont hors des villes, derrière de hauts murs, la viande est vendue conditionnée dans de jolis packagings, les euthanasies en masse des chiens, chats et chevaux abandonnés ou devenus inutiles sont ignorés, les spectacles avec animaux, les zoos ont l’apparence de la joie !
Et lorsqu’on perce à nu cette souffrance des animaux, il est impossible de ne pas souffrir, pour citer toujours la même auteure : « Parce que leur vie est un enfer, que cet enfer est l’œuvre de l’espèce humaine et qu’il montre tout le mal dont nous sommes capables. C’est pourquoi la cause animale devient, pour les personnes qui ouvrent les yeux sur cette violence, la cause principale de leur existence ».
Alors oui, c’est ainsi et irréversible, cet horrible don transforme nos existences : nous acceptons de souffrir et tentons de faire quelque chose de notre souffrance en la transformant en combat quotidien…
4 commentaires
Encore un très beau texte Magali.
Vos mots et les pensées que vous exprimez me touchent encore une fois en plein coeur.
Lâcheté et indifférence sont largement répandues dans notre société, c’est un constat douloureux et quotidien !
Bienheureux ceux qui n’ont pas reçu l’horrible don.
Votre précédent commentaire m’a inspiré ces réflexions…
Ce don est une malédiction qui nous fait souffrir le jour et qui hante souvent nos nuits. La souffrance animale on la ressent dans notre propre chair, on pleure de chagrin et de rage mais on doit continuer jusqu’au bout car c’est ainsi que nous sommes nés et ainsi que nous mourrons.
Vous avez raison…