HERCULE

Je me reposais au soleil quand j’ai entendu leurs pas et senti leur odeur. Ils étaient plusieurs, avançant vers moi, riant. Ils ressemblaient à celui que j’aime, celui qui m’a sauvé.

Je n’ai pas de souvenir avant lui. Il m’a raconté que ma mère avait été tuée, que mes deux frères n’avaient pas survécu à sa mort et qu’il m’avait trouvé, minuscule, effrayé mais vivant. Il m’a nourri, il m’a veillé, comme son enfant. Lorsque j’avais peur, lorsque j’avais mal, je me blottissais dans ses bras et il me berçait. Je sentais sa chaleur, ses mains douces sur mon pelage.

J’ai grandi à ses côtés, il me parlait, je le suivais. Nous nous promenions, côte à côte. J’aimais ces matins lorsque, le soleil à peine levé, il posait sa main sur ma tête et que nous partions marcher. J’apprenais chaque jour un peu plus les odeurs de la terre et celles que m’offrait le vent, chargées du parfum de la forêt. Je découvrais les saisons, le chant des oiseaux, la course des chevreuils dans les prés.

Mon corps a forci. Un jour j’ai aperçu mon reflet dans l’eau de la mare. Mon poil était devenu sombre et dense, j’avais de petits yeux rieurs. La vie était douce, elle avait le goût du maïs et du foin des diners d’été, la senteur des fourrés où je me prélassais.  Il me parlait beaucoup et je lui répondais en frottant ma hure contre sa jambe. Il me disait ici c’est un refuge, un lieu de paix pour vous tous. Ici, tu vas continuer de grandir, tu iras courir dans les bois et peut-être un jour tu rencontreras celle que tu verras avec les yeux de l’âme. Et plein de petits marcassins s’ébattront dans le pré à la lisière de la forêt.

Sous ce poil dru et noir, je n’étais que douceur et sensibilité. Je le suivais du regard et je percevais ses instants de fatigue et de découragement. Il me disait que beaucoup de ses semblables étaient si différents de lui. Ils ne nous aimaient pas, nous étions pour eux des bêtes noires, il me mettait en garde. Mais il disait aussi : lorsque la fin sera venue, pour toi et pour moi, nous reposerons ensemble, unis pour toujours dans notre animalité, notre humanité.

Pourtant je les ai suivis ces autres, ils riaient et parlaient comme lui. J’ai pensé que nous allions nous promener un moment, à la lisière de ma forêt. J’ai répondu à leurs mots, les deux pattes posées sur leurs jambes, leur offrant mon regard plein d’entrain. Un instant, nous avons joué ensemble, ils me souriaient me semblait-il.

Et puis tout a été si vite, je n’ai pas compris. L’un d’eux a pointé son fusil sur mon front et il a tiré. J’ai ressenti une douleur indescriptible et je me suis affaissé de tout mon poids dans le tapis de feuilles mortes. J’ai senti l’odeur de l’humus et de mon sang mêlés. Je ne voyais plus rien, je ne pouvais plus bouger mais je les entendais rire et plaisanter. Ils parlaient de moi. Ils  m’ont poussé du pied et ont crié : Belle bête ! On l’a eu, on en fera un bon civet !

On dit qu’au moment de mourir, on voit défiler sa vie. C’est vrai aussi pour nous les animaux. J’ai revu sa grande silhouette bienveillante venir vers moi et enrober mon petit corps dans une douce couverture, j’ai laissé défiler tous ces matins à regarder ensemble le soleil se lever comme si la vie ne devait jamais s’arrêter, j’ai entendu sa voix qui m’appelait, de ce drôle de nom qu’il m’avait donné : Hercule, le nom d’un héros je crois, doté d’une très grande force.

Lui seul savait que mon corps puissant et vigoureux serait l’objet de la haine et de la jalousie des hommes faibles mais qu’il abritait une âme sensible et vulnérable.

Il voulait me protéger mais contre la barbarie, nul ne peut rien.

Maintenant que j’ai trouvé le repos, je veille sur lui et je l’attends. Lorsque nos corps si dissemblables ne seront plus que poussière dans la nuit, nos âmes pures et unies parcourront sans plus rien craindre les forêts de l’éternité.

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2 commentaires

  1. Comment ne pas avoir le coeur en morceaux en lisant ce texte. Je lis l’histoire d’Hercule pour la troisième fois et je pleure encore une fois.

    Quand j’étais petite et que ma maman me lisait l’histoire de la chèvre de Monsieur Seguin, chaque fois j’espérais que le loup allait l’épargner mais l’issue était toujours la même.

    S’il vous plait, Magali, racontez nous une histoire qui nous fasse pleurer de rire.

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