Les enfants barbotaient dans de grosses bouées flamants roses et licornes. Une allemande allongée sur un matelas épais a fait pschitt en ouvrant son coca. La fille allongée au premier rang a tourné son piercing de nombril et s’est enduit les jambes d’huile solaire. Ma serviette pleine de sable collait à mon maillot mouillé. J’ai posé le livre que je tenais sans le lire et j’ai fermé les yeux. Je me suis laissée bercer un long moment par le clapotis de l’eau.
Un cri d’enfant m’a sortie de ma torpeur.
J’ai ouvert les yeux sur un ciel immaculé transpercé par un grand V noir.
Ils nous survolaient. J’ai fixé leur déplacement. Malgré l’altitude de leur vol, en scrutant le ciel, je voyais l’oiseau tenant la place arrière sortir du rang et venir prendre un relais. Puis un nouveau déplacement et une rentrée dans le rang. Une rectitude parfaite de chaque ligne, une pointe acérée fendant l’air. Une technique ancestrale, transmise de génération en génération. Ils avaient prévu leur date, préparé leur plan de vol, s’étaient rassemblés, chaque jour un peu plus nombreux, prêts à regagner l’Afrique dès le début août. Après de longs jours de vols, leurs ailes battant l’amble, après avoir connu les vents violents balayant la Grèce, lutté contre les courants, planné dans les courants porteurs, soutenu les plus faibles et perdu quelques frères en chemin, ils atteindraient les côtes marocaines pour installer leurs campements d’hiver.
Sur la plage, les enfants s’arrachaient un ballon et leur mère a mis fin à leur dispute en administrant une fessée à chacun, l’allemande s’est levée en laissant rouler sa bouteille vide sous son transat, la fille luisante d’huile s’est dirigée vers l’eau turquoise en se brûlant les pieds sur le sable incandescent.
Personne n’a regardé le ciel.
J’ai suivi du regard au plus loin les deux lignes convergentes qui se dissipaient, emportant une part de mon âme dans l’inconnu.