Gigantesque et discret

Aujourd’hui j’ai vu tomber les grands arbres devant ma maison.

La tronçonneuse hurlait et ils s’abattaient au sol les uns après les autres.

Puis ils étaient alignés au milieu d’un champ de désolation, comme des cadavres.

Il ne reste rien d’eux, les bulldozers ont aplati le terrain, dans quelques mois des parkings auront pris leur place.

J’ai pensé toute la journée à la nouvelle de Christian BOBIN : « J’espère que mon coeur tiendra sans craquelures ».

Ce titre ne commente pas l’abattage d’un arbre mais je me suis demandé si mon coeur tiendrait et…je ne crois pas !

On cite souvent cette phrase de Lamartine : « On n’a pas deux coeur un pour les animaux et un pour les humains. On a un coeur ou on n’en a pas. »

Mon coeur saigne pour les animaux, indiscutablement.

Il saigne aussi pour les arbres, quand leur sève cesse de circuler, quand ils tombent dans un grand fracas, vaincus par la cupidité humaine.

Ce grand jardin qui a fait partie du parc du château, qui avait été planté au dix-neuvième siècle, puis laissé à l’abandon, qui a abrité toutes sortes d’oiseaux, de petits et grands animaux, d’où j’ai vu surgir des biches et jaillir des pics-verts, ce grand jardin était tellement convoité qu’il va finir en zone d’activité dans quelques mois.

Des gens viendront se garer sur les parkings goudronnés, au milieu des bâtiments commerciaux et des petits arbres qui auront été replantés dans le béton.

Plus personne ne se souviendra de ceux que j’ai connus, qui m’ont protégée, ceux qui étaient mes amis depuis plus de dix ans.

Alors c’est pour cela que j’ai pensé à la nouvelle de Christian BOBIN :

« L’arbre est devant la maison, un géant dans la lumière d’automne. Vous êtes dans la maison, près de la fenêtre, vous lui tournez le dos…Cet arbre est depuis peu de vos amis. Vous reconnaissez vos amis à ce qu’ils ne vous empêchent pas d’être seul, à ce qu’ils éclairent votre solitude sans l’interrompre. Oui, c’est à ça que vous reconnaissez l’amitié d’un homme, d’une femme ou d’un arbre comme celui-ci, gigantesque et discret. Aussi discret que gigantesque…Il y a une bienfaisance de cet arbre, une douceur de sa présence qui se diffuse dans la maison et qui a imprégné jusqu’au sommeil que vous y avez trouvé ».

Alors, ce soir, impuissante et seule, je pense à eux qui ne sentiront plus le rebond de plume de l’écureuil, le baiser piquant du pic-vert, le ruissellement de la pluie de l’automne, la bise de l’hiver, l’énergie de la sève qui monte au printemps,

à eux qui ne m’envelopperont plus de leurs grands bras.

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