L’antiquité, la viande et la métempsychose

En septembre 2017, j’ai passé quinze jours à l’Université de Brive, en Corrèze, pour suivre les cours du Diplôme Universitaire de Droit Animalier.

Un cours était consacré à « L’animal dans la philosophie » et j’ai découvert que les débats qui agitent nos sociétés sur le statut de l’animal et les droits des animaux, existaient déjà dans l’antiquité.

L’antiquité est une vaste période, qui va de 3300 avant JC, période de l’invention de l’écriture, à la chute de l’empire romain en 476 après JC. Il est impossible de dresser ici un panorama exhaustif des auteurs qui ont traité de ce sujet et de leur pensée souvent complexe, il s’agit juste de citer les courants qui ont traversé ces siècles et leur évolution.

Dans le code d’Hammurabi (qui est un texte babylonien daté d’environ 1750 avant JC), il existait une interdiction de maltraiter les bœufs de labour.

Pythagore ( celui du théorème)  qui a vécu au 6ème siècle avant JC était végétarien car il croyait à la métempsychose.

La métempsychose est cette croyance selon laquelle une même âme peut animer plusieurs corps successivement d’humains, d’animaux et de végétaux (à la différence de la réincarnation qui représente la transmigration de l’âme humaine à un autre humain).

 Elle existe également dans l’hindouisme au travers la loi du Karma : l’âme individuelle (âtman) doit se fondre dans l’âme cosmique afin de se dégager du cycle des renaissances (samsâra). L’un des écrits fondamentaux de l’hindouisme, la Bhagavad-Gita (Il aurait été écrit entre le Vème et le IIème siècles avant JC) parle en ces termes la transmigration des âmes : « A la façon d’un homme qui a rejeté des vêtements usagés et en prend d’autres, neufs, l’âme incarnée, rejetant son corps, usé, voyage dans d’autres qui sont neufs ».

On voit bien la relation entre cette métempsychose et le végétarisme puisqu’on raconte que Pythagore, passant à côté de quelqu’un qui maltraitait son chien, dit : « Arrête et ne frappe plus, car c’est l’âme d’un homme qui était mon ami et je l’ai reconnu en entendant le son de sa voix ».

Alors certes, on pensait à protéger l’animal non pas pour lui, mais de façon plus égoïste parce qu’il abritait peut-être l’âme d’un humain aimé mais au moins on se penchait sur le sujet et on ne mangeait pas les animaux quand on croyait à cette transmigration.

On comprend la différence entre protéger l’animal pour servir un intérêt humain et protéger l’animal pour lui-même

Et on trouve chez beaucoup de philosophes grecs cette idée d’un devoir de respect et de justice envers les animaux et par là-même une interdiction de les manger :

Théophraste (né en 371 avant JC) estimait qu’on devait le même respect à l’animal et à l’homme et s’est positionné contre la consommation de viande parce qu’elle privait les animaux de leur vie et qu’elle était donc injuste. Il soutenait que les animaux peuvent ressentir de la même manière que les êtres humains et il leur accordait une vie psychologique avec une pensée, tout en indiquant que celle-ci était inférieure à celle de l’Homme.

D’autres auteurs se sont placés sur le terrain de la justice pour indiquer, comme Porphyre (né en 234 après JC) que l’être humain a un devoir de justice envers les animaux et ne doit donc pas consommer leur viande ou, comme Plutarque (né en 46 après JC) , qui estimait que la viande n’était pas nécessaire et que le tort que l’on cause aux animaux est disproportionné par rapport au plaisir et à l’utilité qu’on en retire.

Le débat était ouvert car Platon (né en 427 avant JC) et Aristote (né en 384 avant JC) ont largement traité ce sujet sous l’angle de l’intelligence animale. Pour Platon l’homme n’est pas un animal distinct des autres, c’est un animal qui a choisi d’être différent et y parvient par la pratique de la philosophie et la vertu et pour Aristote « l’homme est le seul des animaux à posséder le logos », pour lui « l’âme pensante » est le propre de l’être humain et il établit une distinction hiérarchique entre les êtres vivants.

Enfin,  les épicuriens et les stoïciens se sont interrogés sur ces mêmes thèmes, les épicuriens déniant une raison aux animaux au motif qu’ils n’auraient pas de mémoire de la douleur et les stoïciens estimant que l’être humain est le seul sujet raisonnable et libre. Epicure était, certes, végétarien, mais parce qu’il considérait la chair animale trop luxueuse.

A Rome vivaient des animaux sauvages et exotiques qui avaient été capturés dans des contrées lointaines, des perroquets et des mainates dans les demeures les plus luxueuses, des fauves dans les cirques, des lions dans les spectacles de combat, des ours étaient envoyés dans les arènes pour combattre des hommes ou d’autres animaux. Pline l’Ancien qui est né en 23 après JC (et mort en 79 lors de l’éruption du Vésuve) est l’auteur d’une encyclopédie d’histoire naturelle. Il s’insurgeait contre le sort réservé à ces animaux exotiques.

Avec l’avènement du christianisme, le discours sur la différence entre l’homme et l’animal s’est imposé et les penseurs chrétiens ont glorifié la domination de l’homme sur les autres animaux.

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5 commentaires

  1. J’ai appris quelque chose à la lecture de cet article. Il est dommage que Jesus, lors du dernier repas partagé avec ses Apôtres se soit contenté de dire « Aimez vous les uns, les autres »… Oui dommage qu’il n’ait pas ressenti de la compassion pour les animaux.

    1. Votre remarque est très juste et on ne peut que déplorer ce fait dans les grandes religions monothéistes. Certains auteurs ont un avis contraire : c’est le cas d’Albert Schweitzer qui soutient que dans la « parabole de la brebis perdue », le « seigneur » qui parle de lui-même comme du « bon berger » ressentirait de la pitié pour les animaux. Il invoque également bien d’autres arguments à ce propos et j’ai l’intention de faire un article prochainement sur A. Schweitzer car je me sens proche de sa pensée.

  2. Merci Magali. Théophraste, Porphyre et Plutarque développaient déjà les thèses de l’antispécisme. 2000 ans après, la pensée humaine n’a pas évolué significativement. C’est d’ une tristesse absolue…. Et encore, à cette époque, l’élevage intensif n’existait pas.

    1. C’est tellement vrai, Yaël ! Sans doute la pensée et le comportement humain n’ont pas suivi les bonnes voies, celles du respect de la vie et de la justice à l’égard de tous les êtres. Nous nous sommes engagés sur le pire des chemins, exploitant, torturant, nous arrogeant le droit d’asservir et d’exterminer les autres espèces.

  3. Qui sommes nous pour décider que les animaux ne sont pas doués de pensées, de sensations, de mémoire ??
    La « supériorité  » de l’humain n’est pas prouvée, sinon, notre rapport à la nature, aux autres serait différent. Les guerres n’ont jamais cessé sur le globe, les agressions de toutes sortes se développent de façon exponentielle…
    Non, rien ne permet d’affirmer notre « supériorité »… Je suis végétarien…..

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